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Discurso na Academia Francesa

DISCOURS DU PRÉSIDENT DE L’ACADÉMIE BRÉSILIENNE DE LETTRES, IVAN JUNQUEIRA, À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Madame le Secrétaire perpétuel de l’Académie Française, Chères Consoeurs, Chers Confrères, Mesdames, Messieurs,
 
Dans l’histoire des peuples et des nations, se présente le moment, presque toujours heureux, où le contact s’établit entre deux groupes humains dont l’un vit encore dans la phase initiale de son évolution, tandis que l’autre se trouve déjà dans la plénitude de ses réalisations artistiques, scientifiques et culturelles. Si nous laissons de côté les méfaits et  malheurs toujours prêts à corrompre les rapports entre le colonisé et son colonisateur, nous pouvons dire que cette première période de contact entre la France et le Brésil se déroula en plein XVIème siècle, quand l’expédition commandée par le vice-amiral Nicolas Durand de Villegaignon, protégé de l’amiral Gaspar de Coligny et du roi Henri II, débarqua à Rio de Janeiro pour y fonder une colonie destinée à accueillir des calvinistes français. Le projet n’aboutit point et l’établissement colonial  de 1555, connu sous le nom de France Antarctique, disparut en 1567 lorsque les colonisateurs furent expulsés.
 Mais deux écrivains accompagnaient Villegaignon :  le pasteur Jean de Léry et le franciscain André Thevet.Après leur retour en Europe, ils publièrent respectivement, l’Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, autrement dite l’Amérique, en 1578, et Les Singularitez de la France Antarctique, en 1558. Ces deux livres, qui font partie des ouvrages indispensables à la connaissance du Brésil au XVIème siècle, ont inauguré, dans le domaine des études historiques consacrées à mon pays, le genre connu comme littérature des voyages. Au XVIIème siècle, deux autres chroniqueurs français, les capucins Claude d’Abeville et Yves d’Evreux, sont arrivés au Maranhão avec la flotte commandée par Daniel de la Touche, seigneur de La Ravardière, chargé d’y établir une colonie française fortifiée, sous la dénomination de France Équinoxiale. Abbeville nous a laissé une Histoire de la mission des pères Capucins en l’isle de Maragnan, publiée en 1614,  et d’Evreux a écrit une Suite de l’histoire des choses plus mémorables advenues en Maragnan, ès années 1613 et 1614, plus tard publiées sous le titre de Voyage au Brésil executé dans les années 1612 et 1613. Ces deux ouvrages sont fort importants pour les études d’ethnographie, de linguistique et d’histoire brésiliennes.

Presque un siècle après l’échec de la France Équinoxiale,   les Français essayèrent, encore une fois, de s’établir à Rio de Janeiro en 1710: d’abord, avec la flotte commandée par Jean-François Duclerc ; ensuite, après le meurtre de ce dernier, avec l’expédition du corsaire René Duguay-Trouin. Le but  était toujours le même:  le commerce du bois «  brésil » et des animaux exotiques. Toutefois, l’objectif commercial et militaire de ces opérations de conquête nous intéresse moins que leur aspect culturel et littéraire. Il est vrai que ces deux corsaires n’avaient ni chroniqueur ni historien à leur disposition. Mais la semence plantée par Jean de Léry et le père Thevet porterait ses fruits dans l’oeuvre d’autres voyageurs et artistes français qui ont visité le Brésil au long des XVIIIème et  XIXème siècles. Lorsqu’on songe à cet humus civilisateur où les opérations de la conquête coloniale plongent leurs racines , il faut remarquer qu’ en plus de la généreuse  contribution portugaise omniprésente et de la fugace participation française, le Brésil a bénéficié  du legs artistique et architectural laissé par les Hollandais au Maranhão, au Sergipe et surtout au Pernambouc où le prince Maurice de Nassau, vers le milieu du XVIIème siècle, remodela l’administration publique et l’urbanisme de Recife.  –Tout comme  les Français – il s’est entouré  de cosmographes, de botanistes, de mathématiciens, ainsi que des peintres Frans Post et Albert Eckout, qui ont admirablement représenté la vie et la société coloniale de ce temps-là.

La fermentation des idées au siècle des Lumières, qui aurait pour résultat la Révolution Américaine, en 1776, et, treize ans plus tard, la Révolution Française, n’a pas été sans répercuter puissament parmi les lettrés et les patriotes brésiliens des dernières décennies du XVIII siècle et des premières du siècle suivant. Malgré l’implacable censure intellectuelle exercée par les autorités de la Colonie, déterminées à éviter la contamination par les « idées françaises » de la minorité pensante du Brésil, elles y arrivaient regulièrement dans la voix et dans le bagage des étudiants brésiliens qui rentraient de Coïmbre et de Montpellier, peu à peu façonnant et alimentant les idéaux d’indépendance de la jeune nation vigoureuse et rétive, à chaque jour plus désireuse de prendre en mains son destin et de le modeler à son gré. On peut dire en toute certitude que l’indépendance du Brésil, quoique proclamée, en 1822, par un prince portugais, fut accomplie par les Brésiliens. Mais les conceptions politiques et sociales qui en ont informé la poursuite ont été celles de Montesquieu et de Rousseau, de Voltaire et de l’abbé Raynal, de d’Alembert et de Diderot, de Turgot et de Vattel, de Volney et de Brissot. Et – ironies de l’histoire! – notre première constitution de nation indépendante, une constitution basée sur la théorie de l’État formulée par les grands penseurs du siècle des Lumières et leurs épigones, tel Benjamin Constant, nous sera octroyée, en 1824, par le petit-fils de la reine au nom de laquelle, deux mois avant la chute de la Bastille, fut écrasée, dans les montagnes de Minas Gerais, une conjuration de poètes et de prêtres dont les idéaux civiques se nourrissaient du Contrat social et de l’Esprit des lois.
J’évoque ici ces épisodes de notre histoire coloniale parce que, parallèlement à la contribution des Portugais au cours des siècles de notre enfance en tant que nation, d’autres peuples sont venus et ont pris une part active à notre évolution.   Notre dette envers la culture française est immense et, au moment où l’on célèbre en France l’année du Brésil, je pense que c’est ici, à l’Académie Française, que nous autres, Brésiliens, devons reconnaître et  louer toutes ces influences grâce auxquelles nous avons mûri, tout en  devenant un   peuple et nation. Aucun pays ne peut évoluer s’il choisit de se renfermer en méconnaissant  ce qui se passe chez les autres. Cette attitude ségrégationniste et unilatérale n’a rien de patriotique. Elle n’apporte aucune indépendance. Elle est plutôt un mécanisme d’exclusion et de sotte jactance civique. Le Brésil en a souffert entre 1960 et 1990, pendant l’odieuse dictature militaire discriminatoire qui a isolé le pays, en fermant ses portes à la générosité et à la richesse des nations qui avaient entretenu avec nous le dialogue de la pluralité et de l’oecuménisme.

 C’est au long du XIXème siècle que la contribution française  à notre littérature, aux sciences, aux arts, voire à notre pensée s’est fait sentir avec une nouvelle intensité. Il suffirait de rappeler le rôle décisif que la Mission Française, de 1816, commandée par Joachim Lebreton, a joué dans notre formation artistique, en inaugurant la période néo-classique de l’architecture brésilienne. Elle comprenait des peintres, comme Nicolas-Antoine Taunay et Jean-Baptiste Debret, des sculpteurs comme Auguste Marie Taunay et les frères Marc et Zéphyrin Ferrez, des graveurs comme Charles Simon Pradier, des architectes comme Grandjean de Montigny, des ingénieurs, des musiciens, des artisans variés. Ainsi, à côté du baroque  portugais, au XVIIème et au XVIIIème siècle, le néo-classicisme s’est épanoui et a dominé  l’art et l’architecture  jusqu’à la fin du XIXème siècle. Malgré la progressive désagrégation du noyau initial de la Mission, Debret et Montigny ont poursuivi leurs activités au Brésil dans le deuxième quart du XIXème siècle, quand l’Académie impériale des Beaux-Arts a été fondée à Rio de Janeiro, sur un projet de Grandjean de Montigny.

Très puissante, aussi, a été l’influence exercée par des écrivains français sur notre Romantisme. Des poètes tels que Victor Hugo, Lamartine, Vigny et Musset, des prosateurs tels que Chateaubriand et George Sand, ou des critiques et historiens,  Sainte-Beuve, Taine et Renan, ont puissamment influencé le goût et la mentalité des trois générations romantiques brésiliennes. Il en sera de même pour nos symbolistes et parnassiens, tellement redevables à Baudelaire, à Rimbaud, à Verlaine, à Corbière, à Laforgue, à Mallarmé, à Heredia, à Gautier, à Banville, à Leconte de Lisle, à Sully-Prudhomme, à François Coppée. Le Surréalisme aussi est venu jusqu’à nous directement de la France, avec Lautréamont, Aragon et Éluard. Notre  roman réaliste et naturaliste a aussi ses patrons :  Balzac,  Stendhal,  Flaubert,  Anatole France,  Zola. Il en va de même pour les poètes modernistes brésiliens, qui viennent boire aux sources de Valéry et de Saint-John Perse, de Cendrars et de Michaux, de Cocteau et de Tzara, de René Char et d’Apollinaire, tandis que nos auteurs d’oeuvres de fiction s’assimilent la prose de Gide, de Proust, de Radiguet, de Romain Rolland, de Malraux, de Bernanos. Bref, le XIXème siècle et une part assez importante du siècle dernier sont impregnés de la littérature, de la philosophie, de la sociologie, de la culture française. Il faut, en outre, signaler l’accueil inconditionnel et généreux fait aux idées d’Auguste Comte Rappelons que la  critique qui a vu le jour chez nous au début du XXème siècle, est surtout positiviste.

C’est dans ce décor dominé par la culture française que naît, en 1897, l’Académie Brésilienne de Lettres, dont le modèle, comme nous le savons, a été l’Académie Française. Et notons que l’immeuble même où siège notre institution est une réplique du Petit Trianon. Le pavillon de la France à l’exposition commémorative du centenaire de l’Indépendance  en 1922 à Rio de Janeiro s’y installa.  Quelque temps après, le gouvernement français en fit don à l’Académie brésilienne, grâce aux démarches  d’Afrânio Peixoto, qui présidait notre institution, et à l’appui de l’ambassadeur de France, Alexandre Conty. Qu’ils sont solides et durables, les liens qui unissent les deux Académies qui  célèbrent aujourd’hui cette séance conjointe. Et l’on peut ajouter que nous nous sommes réunis ici, sous la Coupole, pour un rendez-vous de la latinité, ce territoire spirituel, linguistique et géographique dont les traditions sont millénaires mais qui, néanmoins, se voit menacé par une domination quasi hégémonique du monde anglo-saxon depuis deux ou trois décennies.
A ce propos, il sera peut-être utile de  rappeler que, pendant la seconde moitié du XXème siècle, au moins trois courants de pensée remarquables se sont fait jour dans le terroir de la latinité, avant d’être transplantés dans le reste de l’Europe, aux États-Unis et en Amérique du Sud, au Brésil notamment. Je me réfère tout d’abord au courant chrétien,  auquel se rattachent Jacques Maritain, Teilhard de Chardin et Henri Bergson, dont la notion de durée nous apprend que le temps du moi psychologique ne peut être apprehendé qu’à travers l’intuition métaphysique. Le deuxième, c’est  l’existentialisme de Jean-Paul Sartre, qui révolutionna la philosophie de son temps et exerça une vraie fascination sur les penseurs et écrivains de la seconde moitié du siècle dernier. Le troisième grand courant, qui est plus linguistique que philosophique, est representée par le structuralisme de Claude Lévi-Strauss, de Roland Barthes, de Tzvetan Todorov, d’Algirdas Julien Greimas et de Gérard Genette, qui ont profondément influencé les cercles universitaires brésiliens, comme le feront leurs héritiers  du domaine philosophique et psychanalytique, à savoir Jacques Lacan, Jacques Derrida et les « nouveaux philosophes ». Enfin, si à cette liste nous ajoutons  Michel Foucault et  Louis Althusser, on aura une claire notion de l’opulence de la pensée latine contemporaine.

En ce moment historique où l’on commémore en France l’année du Brésil, il faut  que nous assumions  notre condition de membres d’une même famille, celle de la latinité qui, malgré les différences entre ses membres –  peut-être même en s’appuyant sur elles – a besoin de préserver son identité historique et culturelle.Voir en Virgile   le « père de l’Occident », car c’est bien lui qui, à la charnière du monde païen et du monde chrétien, a entrevu une continuité entre le monde antique et le nouveau,  n’est ni fortuit ni oiseux. D’une certaine manière, la fin d’Énée n’est qu’un nouveau commencement et le but de son périple ne sera atteint que par sa postérité. Chaque homme, nous le savons, a son destin, quoique d’aucuns soient des « hommes du destin » , expression qui ne s’applique pas au commun des mortels. Énée, bien sûr, est un homme du destin, car sur lui repose l’avenir du monde occidental, c’est-à-dire, de cette latinité à laquelle nous appartenons tous.

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Ivan Junqueira